Comment mieux nourrir le Québec
Simon-Pierre Murdock est biologiste de formation. Il a eu la brillante idée de tirer profit d’une richesse naturelle qui dormait à ses pieds au cœur de la forêt boréale : les champignons. Fondateur de Morille Québec en 2009, l’entrepreneur a lancé l’an dernier dans une optique de circuit court « Le Marché Sauvage », une boutique faisant la mise en marché de plusieurs produits de la forêt avec l’objectif d’en mieux faire connaître les vertus gastronomiques.
L’agriculture est la troisième industrie en importance au Québec, mais selon les chiffres du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), c’est à peine plus de la moitié de la demande alimentaire des Québécois (53 %) qui est comblée par des produits d’ici. Une analyse de l’UPA va jusqu’à conclure que nous produisons moins de 40 % de ce que nous consommons. Devons-nous tenter d’augmenter ce ratio et si oui, comment ? Qu’en est-il vraiment de notre sécurité alimentaire, alors que les dérèglements climatiques affectent la production des denrées et que les chaînes d’approvisionnement se révèlent fragiles partout dans le monde ?
La réponse à ces questions n’est pas simple, doser la provenance de nos aliments nécessite une approche équilibrée et nuancée. « Plus un système est ouvert et compte de multiples maillons, plus il est vulnérable. Cela dit, trop de concentration dans la chaîne d’approvisionnement peut aussi la fragiliser, souligne l’économiste et fondateur du Laboratoire de recherche en sciences analytiques agroalimentaires à l’Université Dalhousie, Sylvain Charlebois. La vulnérabilité est géographique quand on considère qu’une catastrophe naturelle affecte un territoire donné. Elle est économique si l’on adopte une politique trop protectionniste. Aussi, il peut être sage d’envisager une répartition géographique des risques et de conserver une certaine fluidité dans le libre-échange pour être en mesure d’importer ce qui nous manque et d’exporter d’éventuels surplus. L’idéal consiste donc à trouver un équilibre entre l’approvisionnement local et international. »
Miser sur des aliments sains et nutritifs pour améliorer la santé de la population
Pour Claire Bisson, chef adjointe de l’investissement d’impact à Fondaction, il est important pour le Québec de valoriser davantage notre potentiel alimentaire : « Comme investisseur désirant améliorer la performance environnementale des modes de production et la santé des populations, nous soutenons des entreprises d’ici qui innovent et interviennent à différents moments de la chaîne d’approvisionnement alimentaire. On renforce ainsi une offre québécoise saine et nutritive qui va de la terre à l’assiette, complétée bien sûr par d’autres sources d’approvisionnement, ce qui favorise la sécurité alimentaire par la diversité et la qualité des denrées disponibles ».
Ce rééquilibrage souhaitable des sources d’approvisionnement, des modes de production et de l’offre d’aliments sains, de plus en plus d’intervenants y participent. Plusieurs initiatives locales contribuent à doter le Québec d’une chaîne agroalimentaire plus résiliente en cas de perturbation. Selon Sylvain Charlebois, « la notion de production locale au Québec inclut généralement un facteur de proximité tandis que dans le reste du pays on va souvent considérer un produit provenant d’une autre province canadienne lui aussi comme étant local. Cette interprétation se défend d’un point de vue monétaire puisque le prix d’un aliment produit au Canada n’est pas sujet à la fluctuation des devises ».
Des créneaux d’excellence fédérateurs et incubateurs de solutions environnementales
Les créneaux et pôles d’excellence mis de l’avant par le gouvernement du Québec visent à développer sur un territoire donné une grappe d’entreprises s’appuyant sur les forces régionales. Plusieurs de ces créneaux concernent l’industrie agroalimentaire, ce qui a aussi pour effet de dynamiser l’offre locale.
C’est d’ailleurs en répondant à un appel de projets du programme « Jeune pousse », mis de l’avant par Fondaction dans le cadre d’un partenariat avec le créneau d’excellence AgroBoréal, que Morille Québec a pu financer la construction de son usine, et passer à une autre étape dans la commercialisation de ses produits.
Cet ancrage territorial propre aux créneaux et pôles d’excellence a entre autres pour effet de réduire les impacts du transport sur l’environnement et de favoriser la fraîcheur des produits. Il résulte aussi de cette dynamique davantage d’interrelations entre fournisseurs locaux et bien souvent un rapprochement entre producteurs et consommateurs, ce qui resserre les mailles du tissu social.
Certains producteurs offrent par exemple des réductions de prix aux clients de leur région ou donnent la possibilité de visiter leur installation. C’est le cas de Viandes Biologiques de Charlevoix, une entreprise qui a profité d’un investissement de Fondaction et de sa présence au sein du créneau Québec NUTRI pour adopter différentes stratégies circulaires. Son approche préserve la qualité des sols et de l’air, notamment en utilisant la biomasse plutôt que les énergies fossiles pour couvrir une partie des besoins énergétiques des bâtiments.
Le même type de collaboration a permis à l’entreprise Pierre du Moulin de réaliser un projet de revalorisation de terres agricoles dans Charlevoix en regroupant des entrepreneurs qui se consacrent à des projets d’agriculture durable et biologique. Un autre exemple, celui d’Entosystem, qui bénéficie du créneau d’excellence en Technologies propres et d’un investissement de Fondaction pour automatiser son usine. Par un procédé circulaire, on y produit des protéines d’insectes destinées à l’alimentation animale. On le voit, la collaboration entre les entrepreneurs, leurs partenaires financiers comme Fondaction et les créneaux d’excellence concourent ensemble à ce renouveau agroalimentaire du Québec.
« Pour mieux nourrir le Québec, aujourd’hui et demain, nous devons développer une offre alimentaire durable, c’est-à-dire nutritive, sécuritaire et respectueuse de l’environnement. »
Claire Bisson, chef adjointe de l’investissement d’impact à Fondaction
Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es
Selon une étude publiée dans la revue Nutrition Journal par le professeur Benoît Lamarche et son équipe de l’Université Laval, les produits transformés à faible valeur nutritive comptent encore pour plus de 38 % de l’apport énergétique quotidien chez le quart de la population adulte au Québec. Le professeur invoque trois causes : les habitudes générales de vie, l’offre alimentaire et l’accès aux aliments sains.
La financière Claire Bisson, instigatrice de l’investissement ciblé en agroalimentaire durable à Fondaction, est déterminée à stimuler les deux dernières : « Pour mieux nourrir le Québec, aujourd’hui et demain, nous devons développer une offre alimentaire durable, c’est-à-dire nutritive, sécuritaire et respectueuse de l’environnement. Il y a un espace à occuper dans le commerce de proximité pour éradiquer les déserts alimentaires. Et un espace pour les produits de qualité composés majoritairement d’ingrédients cultivés et transformés ici, comme la certification Aliments du Québec aide à le faire. »
Un changement se pointe. De plus en plus de consommateurs recherchent des aliments sains et variés produits de manière biologique : selon les données de la Filière biologique du Québec, l’offre biologique a triplé entre 2010 et 2019 au Québec. De plus, les ventes de fruits et légumes biologiques sont passées de 33 M$ à 85 M$ de 2012 à 2017, soit une augmentation annuelle de plus de 20 %.
Mais les conditions socioéconomiques sont aussi un déterminant pour les choix santé du consommateur. Comme l’indique Sylvain Charlebois : « il y a un risque, à partir du moment où l’on quitte l’approche industrielle, de perdre l’économie d’échelle, ce qui peut influencer les prix à la hausse. Or, pour peu qu’elle soit marquée, une hausse de prix a un effet dissuasif sur l’achat de produits sains ». Le coût est de loin le critère qui pèse le plus dans la balance dans les choix des consommateurs et si l’écart de prix d’un produit biologique et celui d’un produit classique dépasse 30 %, le produit classique l’emporte.
Aussi, s’il est parfaitement logique que la finance durable soutienne des initiatives biologiques en circuit court, il est aussi primordial qu’elle ne tourne pas le dos à l’industrie agricole traditionnelle, en l’incitant à adopter des pratiques plus durables. C’est ce que fait Fondaction qui soutient aussi bien Morille Québec que de grands groupes comme Sollio Groupe Coopératif et Agropur coopérative.
En consommant moins de pesticides et d’énergie fossile, en préservant les sols et en diversifiant ses cultures, la troisième industrie du Québec aura un impact certain dans la vitalité économique de tout le Québec, la santé des Québécois et la protection de notre environnement. Pour un secteur agroalimentaire véritablement durable, en somme !