Économie circulaire : rien ne se perd, tout se transforme
Alliance Magnésium vient tout juste d’amorcer la construction de son usine de production de lingots de magnésium. L’entreprise de Danville en Estrie puisera sa matière première dans les quelque 300 millions de tonnes de résidus miniers générés pendant plus de 100 ans par l’ancienne mine d’amiante Jeffrey dans la ville adjacente d’Asbestos.
Alliance Magnésium fait même d’une pierre… trois coups ! Elle recycle non seulement des déchets, mais sa technologie de transformation par un procédé propre d’électrolyse permettra aussi de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 83 % en moyenne par rapport au procédé traditionnel. De plus, le produit final est destiné au marché des transports, notamment pour alléger le poids des véhicules et diminuer leur empreinte environnementale.
« La demande pour le magnésium est en forte croissance. Et il y aura sûrement un intérêt plus important pour un produit plus vert », se réjouit le fondateur Joël Fournier, président et chef de la technologie de cette entreprise lancée en 2012 qui a fait de l’économie circulaire son modèle d’affaires.
Accroître la productivité des ressources
Le terme économie circulaire est assez récent. Mais son concept remonte aux années 1970. Rappelons-nous le principe des «3R» : réduire, réutiliser et recycler. Aujourd’hui encore, l’objectif est de freiner l’exploitation accrue des ressources et l’accumulation des déchets, en optimisant toutes les étapes du cycle de vie de biens ou services.
« Il faut accroître la productivité des ressources qui sont déjà extraites afin de réduire la nécessité d’en extraire de nouvelles. Sinon, on fonce droit vers un mur », insiste Daniel Normandin, directeur exécutif de l’Institut de l’environnement, du développement durable et de l’économie circulaire (EDDEC), créé sous l’impulsion de HEC Montréal, de Polytechnique Montréal et de l’Université de Montréal.
« La pandémie actuelle nous amène à repenser le modèle économique linéaire en place qui a démontré ses failles pendant la crise », note Sonia Gagné, présidente-directrice générale de RECYC-QUÉBEC.
L’économie circulaire suscite d’ailleurs un intérêt grandissant auprès des gens d’affaires. « Les entreprises ont davantage pris conscience ces dernières années de l’importance de mieux utiliser et disposer des ressources », constate en effet Philippe Crête, conseiller principal, Investissements privés alternatifs, chez Fondaction.
Les entreprises ont d’autant plus intérêt à faire la transition vers une économie circulaire que « les consommateurs ont aujourd’hui une plus grande conscience environnementale et vont exiger le même engagement de la part des entreprises », indique Mourad Ben Amor, directeur-fondateur du Laboratoire interdisciplinaire de recherche en ingénierie durable et écoconception (LIRIDE) de l’Université de Sherbrooke.
Nouveaux emplois, nouveaux marchés
Cette transition n’est pas synonyme de recul de l’activité économique, note d’ailleurs une étude réalisée en 2018 par l’Institut EDDEC. Bien au contraire. L’économie circulaire a en effet le potentiel d’accroître le nombre d’emplois, de pousser à la hausse le PIB et de favoriser le développement de nouveaux marchés, conclut le rapport initié conjointement par le Conseil du patronat du Québec (CPQ), le Conseil Patronal de l’Environnement du Québec (CPEQ) et Éco Entreprises Québec (ÉEQ). Autres retombées potentielles : réduction des coûts de production de 34 % et d’approvisionnement de 70 %, et baisse du prix de vente de 20 %.
Le Québec est bien positionné pour profiter de ce marché mondial évalué à 4,5 milliards de dollars américains annuellement. « Nous sommes un pionnier au Canada, et même en Amérique du Nord, en matière d’économie circulaire. Il faut maintenir cette longueur d’avance », souligne Daniel Normandin.
Les secteurs québécois de l’agroalimentaire, de l’énergie, de la construction et des produits métallurgiques, recèlent un potentiel intéressant de circularisation. D’autant plus important qu’ils génèrent plus de 60 % du PIB du Québec.
Accélérer le changement
L’économie circulaire a néanmoins son lot de défis. « Il y a toujours de la résistance aux changements. Mais, tôt ou tard, les entreprises vont y voir un bénéfice », affirme Mourad Ben Amor.
Adopter les principes de l’économie circulaire promet des réductions de coûts, mais nécessite souvent de la part des entreprises des investissements qui peuvent freiner cette transition.
Fondaction prépare justement un fonds d’investissement de 30 M$ en économie circulaire, en collaboration avec la Ville de Montréal, afin de financer et d’accompagner des PME qui souhaitent transformer leur modèle en y intégrant des principes de circularité, notamment pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ou la production de matières résiduelles. Ce fonds – une première canadienne – ciblera d’abord les secteurs de l’agroalimentaire, de la gestion des matières résiduelles et de la mobilité durable.
RECYC-QUÉBEC a pour sa part consacré 2,3 M$ à la mise sur pied dans plusieurs régions du Québec de projets de symbioses industrielles. Ces initiatives favorisent les échanges de matières résiduelles et de coproduits matériels ou énergétiques entre différentes entreprises. « Les résidus d’une entreprise deviennent la matière première d’une autre », explique Sonia Gagné. L’engouement pour ce programme a récemment amené l’organisme à lancer un deuxième appel de propositions.
À n’en pas douter, « de nombreuses occasions d’affaires s’offrent aux entreprises », affirme Philippe Crête. Joël Fournier peut en témoigner. « Les premières 18 000 tonnes de magnésium que nous commencerons à produire l’an prochain sont déjà vendues ». L’entreprise, dans laquelle Fondaction a investi cette année, entend même rivaliser avec la Chine qui génère l’essentiel de la production mondiale, mais en émettant plus de 26 tonnes de gaz à effet de serre par tonne de magnésium produit.