Le capital naturel, une nouvelle façon de voir nos ressources
L’époque où il pouvait paraitre plus rentable de détruire la nature plutôt que de la préserver tire à sa fin. La protection et la régénération des milieux naturels attirent maintenant les investisseurs. Voici pourquoi.
En novembre dernier, la Woodbury Mountain Wilderness Preserve, une forêt de 2 388 hectares située au Vermont, est devenue la plus grande réserve naturelle non gouvernementale et le plus grand projet de compensation carbone réalisé sur des terres sauvages de cet État américain. Si cette forêt était exploitée ou perdue de quelque manière que ce soit, la quantité de carbone qu’elle a emmagasinée dans la biomasse souterraine et aérienne et dont elle est le réservoir serait irrécupérable au cours du prochain siècle. Tout comme la biodiversité qu’elle abrite.
Sa protection aura été rendue possible par la fiducie foncière Vermont River Conservancy, détentrice d’une servitude de conservation perpétuelle pour le site, et grâce à l’intervention du fonds Inlandsis et de ses partenaires Northeast Wilderness Trust et Bluesource.
Oui, vous avez bien lu, un fonds ! Les financiers s’intéressent à la préservation du capital naturel. Inlandsis, un fonds partenaire de Fondaction, finance des projets de réduction d’émissions de CO2 et des projets de protection de forêts grâce au marché des crédits de carbone.
Des millions de tonnes de carbone séquestrées
On peut également citer l’investissement du fonds LDN (Land Degradation Neutrality), un fonds de 200 millions de dollars américains dans lequel Fondaction a également investi et qui se consacre à la restauration des terres, qui fait partie des investisseurs qui soutiennent Miro Forestry en Afrique de l’Ouest. Le modèle d’affaires de cette compagnie forestière ne se limite pas à l’exploitation de la forêt pour en faire des 2 X 4 et du contreplaqué. Il mise aussi sur la plantation d’arbres sur des terres dégradées au Ghana et en Sierra Leone et sur la conservation de forêts.
Une des principales sources de revenus de Miro Forestry, c’est la vente de crédits de carbone qu’elle vend à des entreprises de partout dans le monde. Ses plantations ont séquestré jusqu’à maintenant 1,3 million de tonnes de CO2, et d’ici 2030, 5 millions de tonnes de CO2 s’ajouteront à ce bilan. Miro contribue aussi à la diminution des émissions de gaz à effet de serre grâce à la valorisation de la biomasse comme source énergétique.
Les entreprises comme Miro Forestry, qui valorisent le capital naturel avec une approche de durabilité, sont de plus en plus recherchées par les investisseurs.
Historiquement, les marchés financiers n’accordaient pas une valeur aux forêts, aux milieux humides et aux océans, mais leur destruction accélérée à l’échelle du globe, avec la perte de biodiversité qui s’ensuit, change la donne. Selon l’ONU, les humains ont déjà altéré 70 % des terres non couvertes de glace, affectant 3,2 milliards de personnes.
Investir dans les services écosystémiques
On réalise de plus en plus que la nature nous rend une panoplie de précieux services à bon marché : purification de l’air, filtration de l’eau potable, séquestration de carbone, protection de la biodiversité, pollinisation des récoltes, alouette ! C’est ce qu’on appelle les services écologiques ou écosystémiques. Sans l’apport de la nature, la vie sur terre serait tout simplement impossible.
Ces services écosystémiques prennent actuellement de la valeur avec l’essor de l’investissement dans le capital naturel, qui vise à protéger, préserver et valoriser la nature. « C’est une façon novatrice d’investir dans les ressources naturelles de façon durable, mais plutôt que de miser sur leurs exploitations, on mise sur leur protection », explique Philippe Crête, conseiller principal, gestion d’actifs, à Fondaction.
Lors de la COP26 à Glasgow, l’automne dernier, Fondaction s’est engagé à investir au moins 100 millions de dollars en capital naturel par ses investissements et ses fonds. Un engagement formel dans la continuité d’actions concrètes réalisées ces dernières années. En plus des investissements dans le fonds LDN et dans le fonds Inlandsis, cités plus haut, Fondaction participe également au fonds Urapi, qui investit dans des projets d’agroforesterie durable en Amérique latine.
Si dans le passé, de tels projets relevaient de la philanthropie, on parle ici bel et bien d’investissement. « Il existe maintenant plusieurs façons de générer des revenus en protégeant la nature », explique Gautier Quéru, directeur capital chez Mirova, une société parisienne qui gère le fonds LDN.
Les revenus viennent de la vente de crédits de carbone, de l’augmentation du rendement des entreprises agroforestières qui adoptent des pratiques durables ou encore des profits générés par les entreprises de services-conseils qui les accompagnent. « Par exemple, dans le secteur du café, les producteurs de café équitable sont plus productifs que la moyenne et vendent leurs produits avec une plus-value, ce qui augmente leur rentabilité », dit Gautier Quéru.
Si le capital naturel est exploré par une poignée d’investisseurs précurseurs et qu’il reste encore beaucoup de marchés à développer, sa rentabilité à long terme ne fait pas de doute aux yeux de Stéphanie Émond, vice-présidente impact et opérations chez FinDev Canada, une société d’État qui fait de l’investissement d’impact dans les pays en développement et qui fait partie des investisseurs de Miro Forestry. « Par exemple, notre investissement dans Miro Forestry est déjà payant et devrait l’être davantage à plus long terme », dit-elle.
Se fixer des cibles à atteindre
Actuellement, les entreprises cherchent surtout à réduire leurs impacts négatifs, en s’attaquant notamment à leurs émissions de gaz à effet de serre. Dans un futur pas si lointain, prédit Philippe Crête, les entreprises auront aussi une responsabilité en matière de protection de la biodiversité. « Elles auront des cibles à atteindre. Pour cette raison, je suis convaincu que le capital naturel sera la prochaine classe d’actifs qui mobilisera la finance, comme ce fut le cas des énergies renouvelables dans le passé », soutient Philippe Crête.
Dans cette optique, le 2 juin 2022 à Montréal, Fondaction organisera une journée de réflexion intitulée « Des indicateurs de biodiversité pour les investisseurs du Québec », en partenariat avec SNAP Québec, le Centre de la science de la biodiversité du Québec et le Réseau Biodiversité Québec, avec l’appui du Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique et de la Biosphère de Montréal.