Ma 6e COP
Par Stéphan Morency
Vice-président et chef de l’investissement
Je pars pour ma sixième COP, ces conférences annuelles des Nations unies sur les changements climatiques. Dire que je pars à Dubaï avec enthousiasme serait mentir. Je mentirais aussi si je vous disais que ces rencontres ne servent à rien. Même si c’est trop lent, on parvient quand même à faire avancer des choses.Et ce, même si ces petites victoires paraissent dérisoires face à l’ampleur de l’urgence et des défis. C’est pourquoi il est important que les militants, celles et ceux qui sont là pour que l’on change nos façons de faire, celles et ceux qui veulent et qui vont provoquer le changement, fassent partie de la conversation.
On sait déjà qu’avec le niveau d’action actuel, nous n’atteindrons pas l’objectif de l’Accord de Paris issu de la COP21, le 1,5 °C. Même la cible moins ambitieuse de maintenir l’augmentation de la température moyenne mondiale bien en dessous de 2 °C au-dessus des niveaux préindustriels serait hors de portée. Selon le Emissions Gap Report 2023 produit par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), les politiques actuelles entraîneront une augmentation des températures de 2,5 °C à 2,9 °C d’ici la fin du siècle.
Partout, il faut nous préparer à davantage de catastrophes environnementales et à leurs conséquences. À toutes les échelles : à l’échelle individuelle, à l’échelle des organisations, mais surtout, à l’échelle de nos sociétés. Qui dit préparer nos sociétés dit résilience sociale1. Et la résilience sociale, plus que jamais mise à risque par l’enchevêtrement de plusieurs crises (environnementale, économique, sociale, sanitaire), est pour moi une préoccupation centrale alors que je me rends à Dubaï.
Je tenterai de trouver là-bas des réponses à des questions : comment parviendra-t-on à être socialement plus résilient alors que les projections d’un point de vue environnemental sont pessimistes ? Quel rôle joueront les différents acteurs et actrices de cette résilience ? Comment mieux valoriser leurs contributions ?
Je vous partage quelques réflexions pré-départ, et je pars avec l’espoir de revenir avec des pistes de solutions à mettre en œuvre dans nos propres organisations.
1. Un leadership des États est attendu
Les dernières COP nous ont montré que deux enjeux de taille entravent les négociations et empêchent les gouvernements de porter les actions nécessaires face à la double crise du climat et de la biodiversité :
a. Les enjeux climatiques polarisent
L’opposition entre les États prêts à aller de l’avant avec des actions plus ambitieuses, et ceux dont les dirigeants ne voulaient rien faire ou presque, a généré les décisions insatisfaisantes que l’on connaît.
Ainsi, même si certains gouvernements ont su manifester un peu d’ambition lors des négociations, le fonctionnement par unanimité des COP, souvent appelé « consensus », fait que les États détracteurs neutralisent toute avancée significative. C’est là aussi la limite du pouvoir et des capacités de l’ONU, organisatrice des COP. Sans compter que cette dynamique est aussi existante au sein d’un pays alors que les partis politiques ont polarisé politiquement la crise climatique.
Mais ce n’est pas une raison pour ne pas se battre et ne pas plaider en faveur d’actions à la hauteur de l’urgence climatique. Je demeure convaincu et motivé par l’idée que toute avancée dans le bon sens est essentielle.
b. Les sommes publiques dédiées à la lutte et à l’adaptation aux changements climatiques sont insuffisantes
Rien que dans les pays à revenu faible ou moyen, un rapport du PNUE estime qu’entre 215 et 387 milliards de dollars par an sont nécessaires pour l’adaptation aux changements climatiques.
Du côté de la réduction des émissions de GES, il y a quelques semaines encore, la présidence de la COP28, l’International Renewable Energy Agency (IRENA) et la Global Renewables Alliance ont exhorté les gouvernements à tripler la capacité des énergies renouvelables d’ici 2030 dans les efforts visant à empêcher le réchauffement climatique de dépasser 1,5 °C.
Les États devront indéniablement trouver les moyens de faire augmenter les investissements publics, mais aussi privés. Et il n’est pas encore question ici des efforts en lien avec la protection et la restauration de la biodiversité !
Pour résumer, les États doivent montrer l’exemple en matière d’ambition et d’action climatiques. Ils devront surmonter les enjeux mentionnés ci-dessus — encore d’actualité pour la COP28 —, sans quoi les conséquences environnementales et socio-économiques de la crise climatique ne feront qu’empirer.
En revanche, les gouvernements ne pourront pas faire front seuls.
2. La finance privée doit rendre possibles des solutions concrètes et ancrées dans l’économie réelle
Du point de vue d’un acteur financier, j’ai noté une grande évolution quant à la place que le secteur de la finance joue dans les négociations et autour des négociations. Car dans les COP, beaucoup de choses se jouent hors des salles où les négociateurs gouvernementaux délibèrent pendant des heures sur un ou deux mots, qui ont pourtant chacun une importance cruciale — pensons au fameux débat sémantique entre « phasing down » et « phasing out », au sujet de la place des carburants fossiles au cours des prochaines années, pour n’en citer qu’un seul.
Le secteur de la finance privée en particulier occupe une place grandissante dans ces discussions. Des personnalités influentes militent pour que nous fassions partie de la solution plutôt que du problème et font bouger l’aiguille dans la bonne direction. C’est ainsi que la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ) a été lancée dans le cadre de la COP26 à Glasgow. Avec des milliers de milliards de capitaux privés disponibles, nous avons des moyens considérables à notre disposition pour nous aider à atteindre nos cibles climatiques.
La finance privée occupe également une plus grande place dans les COP parce que, comme je le mentionnais plus tôt, plus de ressources doivent être mises au service de la crise climatique (sans mentionner les autres crises). À plus forte raison lorsqu’on sait que 1 dollar d’investissement public peut générer 4 dollars du secteur privé, selon le réseau de financement mixte Convergence.
Encore faut-il que les financiers fassent les bons choix et se détournent des activités néfastes pour notre planète et notre communauté. En effet, BloombergNEF estime que pour que nous limitions le réchauffement climatique mondial à 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels, le rapport entre les financements verts et les financements liés aux énergies fossiles doit maintenant être de quatre pour un. En ce moment, ce ratio se rapproche davantage d’un pour un…
Pour faire les bons choix et faire partie de la solution plutôt que du problème, la finance devra se demander quelles sont vraiment ses intentions. Pour cela, il faut aller au-delà du devoir fiduciaire, afin de faire de la finance un outil qui sert à bâtir quelque chose de durable, et non pas en faire une finalité (je vous invite à lire un texte que j’ai publié récemment à ce sujet).
Or, force est de constater que le secteur de la finance évolue, tout comme les institutions gouvernementales, dans un système contraignant qui n’a absolument pas su jusqu’ici canaliser les capitaux vers les bons endroits. Plusieurs obstacles systémiques obstruent ainsi le chemin vers une transition, tels que : les responsabilités fiduciaires qu’il faut impérativement actualiser face aux crises actuelles, les mouvements anti-ESG, le technico-solutionnisme, la non-prise en compte de scénario de référence dans de nombreuses politiques et choix financiers, etc.
En d’autres mots, la finance n’est pas non plus une solution miracle. Il y a une partie prenante importante pour contribuer à rendre notre société plus résiliente qui doit donc être ajoutée à l’équation ici : la société civile.
3. La société civile est clé pour notre résilience sociale
Il est impossible d’ignorer aujourd’hui que les conséquences de la crise climatique sont non seulement environnementales, mais aussi sociales et économiques. En effet, rien qu’au Canada, sans parler des impacts humains, on estime que l’économie pourrait subir une perte de 5500 milliards de dollars d’ici la fin du siècle en raison des changements climatiques. Plus que jamais, les personnes les plus vulnérables sont celles qui subissent le plus toutes les crises. Nous avons l’obligation d’en tenir compte et de les écouter, et ce, pendant les COP et en dehors de celles-ci. Tout le temps, continuellement et, surtout, véritablement.
Pour que la finance soit à la bonne place, la société civile doit aussi faire partie de la conversation, et nous, les parties prenantes de la finance, devons systématiquement intégrer les enjeux sociaux et environnementaux dans nos calculs. Sans quoi, notre société ne sera pas résiliente, et par conséquent, nos modèles d’affaires non plus. Ce n’est pas aux financiers seuls de définir ce qui est durable dans la finance durable.
Lors de ma dernière COP, j’ai vu se développer une approche systémique nouvelle, portée par la société civile. J’ai ainsi participé à des discussions passionnantes sur les solutions prenant en compte les multiples crises en cours. J’espère vivement que ce genre de conversations seront encore plus répandues et incluront toutes les parties prenantes de la résilience : les gouvernements, l’ONU, le capital privé et la société civile.
Je me dirige donc à la COP28 avec une question : quelle place la résilience sociale, qui est inévitable, prendra-t-elle dans le discours et les discussions qui se tiendront à Dubaï ?
La réponse fera l’objet de mon prochain billet.
1 Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) définissent la résilience comme la capacité des systèmes sociaux, économiques et écologiques interconnectés à faire face à un événement, une tendance, une perturbation ou un danger, en réagissant ou en se réorganisant de manière à maintenir leurs fonctions, leurs identités et leurs structures essentielles.