LA question que nous devrions nous poser comme investisseurs d’impact
Par Stéphan Morency
Vice-président et chef de l’investissement
À quoi ressemblerait un monde dans lequel nous, les investisseurs d’impact, aurions réussi ?
S’il ne devait y avoir qu’une question dans notre secteur que nous devons toutes et tous nous poser, ce serait celle-ci. Car si de plus en plus d’organisations déclarent mener des « projets d’impact », il subsiste un certain degré de subjectivité dans la détermination de ce qui est pertinent ou non comme impact.
Si les efforts actuels pour financer des projets à impacts sont nécessaires, il faut aller au-delà des impacts pris isolément et identifier la finalité qui est recherchée et la raison qui nous amène à faire ces choix d’investissement. Ce projet ABC dans lequel nous investissons, contribue-t-il vraiment à bâtir une économie résiliente, tout en étant une solution aux crises environnementales et sociales ? Sera-t-il, à l’instar de plusieurs projets d’impact, isolé, sans possibilité d’être mis à l’échelle, en raison d’importants obstacles systémiques ?
Autrement dit, il faut passer de l’approche « à la pièce » à l’approche « systémique ». Cela exige qu’on se fasse une idée du monde que nous voudrions voir émerger.
L’essence de l’investissement d’impact
Ma définition de l’investissement d’impact est celle du Global Impact Investing Network (GIIN) : les investissements d’impact sont « des investissements effectués avec l’intention de générer un impact social et environnemental positif mesurable, tout en obtenant un retour financier ». C’est mettre les capitaux au service de transformations en lien avec les fameux objectifs de développement durable de l’ONU (appelés aussi les ODD). Et l’intention derrière ces changements, c’est le choix de favoriser des modèles économiques qui amènent des solutions aux problèmes actuels, plutôt que ceux qui y contribuent.
Notre rôle, en tant qu’investisseurs d’impact, nous place donc entre l’investisseur traditionnel et le militant : d’un côté, en tant qu’investisseurs, nous souhaitons d’abord comprendre de quoi nous pensons que l’avenir sera fait, puis placer nos fonds en conséquence pour éviter les risques et profiter des opportunités ; d’un autre côté, en tant que militants, nous voulons comprendre la direction vers laquelle la société évolue, et surtout, contribuer à guider – voire rectifier – sa trajectoire dans le sens du progrès sociétal désiré.
Il est donc crucial de définir de manière explicite notre vision d’un monde où nous aurions réalisé des progrès significatifs sur le plan sociétal.
La prochaine étape pour l’investissement d’impact
La croissance du marché mondial de l’investissement d’impact – qui a atteint 1 164 milliards de dollars en 2022 selon le GIIN – nous confirme que notre industrie a redoublé d’efforts pour identifier des domaines et des projets précis dans lesquels investir, comme améliorer l’accès à une éducation de qualité ou à une énergie abordable et propre, par exemple.
Cependant, notre secteur a négligé d’identifier l’objectif général de l’ensemble de nos interventions, notre vision du progrès de la société. En effet, au même titre que la finance est un moyen et non une finalité, favoriser des impacts positifs est une intention louable, mais encore faut-il définir où nous voulons aller avec ces impacts. Et c’est l’étape à laquelle l’industrie doit maintenant s’attaquer, forte de ses réalisations de la dernière décennie.
Au-delà de la direction, la destination
Les outils et les mesures que nous utilisons en tant qu’investisseurs d’impact sont l’équivalent d’une boussole, d’un indicateur de vitesse, d’accélération ou d’altitude. Ils nous donnent une idée de la direction et de notre performance dans cette direction. Ce qui n’est pas si mal. Les ODD, notamment, sont des indicateurs de direction : avançons vers la faim zéro, œuvrons pour la santé et le bien-être, la réduction des inégalités, etc.
Mais comme avec un GPS, il faut d’abord choisir sa destination : il faut définir l’objectif pour lequel nous déployons nos moyens, soit le monde où nous aurions réussi en tant qu’investisseurs d’impact. À court, moyen et long terme.
Pour être clairvoyants, nous avons besoin de construire des scénarios de référence vers lesquels nous voulons tendre et qui intègrent l’économie, la politique mondiale, la démographie et le chevauchement de plusieurs crises (environnementales, sociales, sanitaires, etc.).
La pointe de l’iceberg
Une fois que nous avons déterminé au service de quel monde nous voulons déployer nos capitaux (notre « destination »), il reste un défi majeur à relever : nous fonctionnons dans un système, dont les maillons sont interdépendants et dont les interdépendances et la complexité favorisent l’inertie.
Cela signifie que même si, individuellement, nous parvenons à répondre à plusieurs ODD, il reste encore une transformation transversale systémique à opérer, à travers toute la chaîne de valeur. Si un projet a des retombées positives sur le papier, mais que l’une des parties prenantes a des pratiques problématiques ou une incapacité à s’adapter au progrès, cela annulera fort probablement les impacts visés, ou fera obstacle à la mise en œuvre ou à sa mise à l’échelle, éliminant les bénéfices pour les communautés. Tout investissement – la pointe de l’iceberg – est dépendant de tout un écosystème, ce qui se cache sous l’océan.
Une meilleure vision d’un futur où nous aurions réussi nous permettrait donc une meilleure orchestration de nos investissements, en plus d’amplifier le pouvoir d’agir à un niveau systémique de l’industrie et l’efficience de chaque dollar d’impact investi.
Le monde dans lequel nous, les investisseurs d’impact, aurions réussi
Grâce à la puissance du capital, il nous est possible d’influencer tout l’écosystème dans le bon sens, y compris les causes de l’inertie, afin de concrétiser ce monde dans lequel l’ensemble du système serait capable de livrer les solutions à notre portée, de façon responsable. Ultimement, le compromis n’est plus possible. Il est donc temps de réfléchir au monde vers lequel nous devrions tendre.
Pour cela, nous devons mettre en commun l’ensemble de nos ressources – financières, de recherche et développement, d’influence – mais aussi travailler avec la société civile, afin que toutes les forces mobilisables, incluant les militants de la société civile, participent à la mise en place de solutions qui répondent aux besoins et aux limites planétaires. Nous jouissons collectivement d’une intelligence capable de projeter et concrétiser un tel monde. L’heure est au leadership, l’heure est à la collaboration, l’heure est au mouvement d’impact.